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Quand on sillonne les rues de Minsk, capitale de la Biélorussie, souvent qualifiée de « dernière dictature d’Europe » par la presse occidentale, c’est l’ordre qui saute aux yeux. Les façades, les bancs, les poubelles même, sont repeintes quotidiennement - pas une seule trace, encore moins un tag sur un mur, dans ce décor aux faux airs d’un village Potemkine (villages trompe-l’œil à des fins de propagande pour masquer la pauvreté). Où que vous leviez la tête, vous trouverez une caméra de surveillance en train de vous filmer et des drapeaux installés sur les façades des immeubles et des magasins. Sur les panneaux publicitaires, nombreux, des images et slogans en mémoire de la Grande guerre patriotique (seconde guerre mondiale), ou pour la sécurité générale. En ville, les femmes et les hommes s’inscrivent dans les stéréotypes de genre, un peu plus fort qu’ailleurs. Personne ne crie ou ne parle trop fort dans la rue. Bien sûr, l’architecture porte les traces de l’URSS et du communisme. Alexandre Loukachenko, le dictateur aux commandes, est à présent au pouvoir depuis 30 ans. Sa réélection en 2020 pour un septième mandat, jugée frauduleuse par le peuple, avait suscité de grandes manifestations. Ces dernières, très fortement réprimées avaient mené à une quantité massive d’arrestations, et à une crise migratoire vers l’UE notamment chez les jeunes et les minorités. Nombre d’opposants ou de personnes estimées l’être étaient interpellées dans la rue ou chez elles, d’autres continuent à l’être aujourd’hui. Ceux qui le pouvaient ou n’en avaient pas le choix sont partis, ceux qui sont restés ont dû s’adapter au système. En 2024, la répression s’est intensifiée notamment pour les personnes lgbtq+, de nombreuses personnes ont été interpellées alors qu’elles dansaient dans des bars et condamnées à des peines fermes pour motif de leur appartenance à la communauté. En janvier 2025, aucun espoir n’existait pour les dernières élections. En Biélorussie, beaucoup de chansons sont interdites, jugées contestataires. Se vêtir de blanc et de rouge, couleurs de l’opposition, est souvent évité par les habitants, des gens ont déjà été arrêtés pour ça. Dans la foule des rues de Minsk, on croise de nombreux militaires, souvent des hommes très jeunes, certains sont adolescents.
Il n’existe qu’un quartier où la différence saute aux yeux, c’est celui de Nyamiha, tout près de la station de métro du même nom, prisée par les jeunes. Sous une immense fresque soviétique en relief, un KFC. Devant ce KFC, des groupes de jeunes, vêtus tout en noir, avec quelques touches de blanc. On les remarque immédiatement. Les foules leurs lancent des regards en biais, certains les interpellent en russe avec le mot « niefor » suivi d’une insulte. « Nieformalniy », c’est ainsi qu’ils qualifient leur style. Un mouvement né en URSS dans les années 1980-1990, qui a réuni les punks, les gothiques, et globalement les minorités qui s’affirmaient par leur style vestimentaire, sous un même nom. À l’origine les jeunes niefors affirmaient leur opposition aux organisations de jeunesse officielles contrôlées par l’Etat que représentaient les jeunesses communistes. Être Niefor c’est s’habiller de noir et de blanc, être tatoué, percé parce qu’on aime - être Niefor c’est aussi - souvent - montrer son opposition aux générations qui nous précédent, son opposition au système. Le style Niefor trouble les frontières du genre. Beaucoup de Niefors refusent de parler de politique, certains disent qu’ils n’y connaissent rien, beaucoup d’autres, comme le reste de la société, ont peur des du système d’ordre et veulent le calme, surtout, éviter les conséquences. La plupart des niefors sont très jeunes, ils ont entre 12 et 25 ans. Tous sont emplis de rêves, nombreux sont ceux qui veulent voyager, quitter le pays pour quelques mois ou pour s’installer ailleurs. Pour un jeune biélorusse, un des seuls pays envisageable sans visa c’est la Russie, les autres pays semblent tous inaccessibles face au durcissement des sanctions contre la Biélorussie - alliée de la Russie - dans le contexte de la guerre en Ukraine. Qu’ils l’affirment ou qu’ils ne le disent pas, les niefors apparaissent comme la dernière forme de différenciation visuelle dans une société aseptisée, sans espoirs, et vidée de tous les « Autres », suite aux arrestations des opposants et aux migrations vers l’UE. Et puis, étrangement, ils finissent contre leur gré à apparaître comme l’amende honorable de tolérance du gouvernement, devenant le seul élément d’hétéroclicité du décor des villes.
« Les enfants aux ailes noires » fait référence au surnom du Bélarus « La terre sous les ailes blanches » et à l’étymologie du nom Biélorussie, « Russie blanche » dont les opposants au régime et à l’alliance avec la Russie se détachent.