Fiora Garenzi

  • « Quand je me suis mise avec Louise, je n’arrivais pas à m’attribuer l’étiquette « lesbienne » alors que je me concevais comme telle. Pour moi c’était un mot qui était trop connoté de façon sexuelle et que je n’arrivais pas à détacher du « male gaze » (« regard masculin », idée que la culture prend ses bases sur une perspective d’homme cisgenre hétérosexuel). Pour moi, le mot « lesbienne » était un mot que l'on entendait uniquement dans la bouche des hommes, uniquement dans le porno, je ne m'y identifiais pas. Je savais ce qu'être lesbienne voulait dire mais il me manquait une représentation réelle. Je me suis affirmée lesbienne progressivement, par déconstruction. Aujourd’hui c’est un terme que je perçois totalement différemment, que le considère dans sa portée revendicatrice et politique. Je pense que le mot « lesbienne » n’est pas neutre, j’ai simplement choisi de considérer son orientation qui me correspond et plus à travers la conception de ceux qui ne sont pas concernés.


    L’absence totale de représentation des relations amoureuses entre femmes m’empêchait de considérer les relations lesbiennes comme aussi légitimes que les relations hétéro, car je n’avais aucune image de couple lesbien pouvant avoir une vie, un quotidien. Quand on a finalement construit cette relation avec Louise, on a dû le faire sans référence, sans exemple.


    Je n’ai pas fait de coming out auprès de ma famille, j’ai coupé les ponts avec eux quand je me suis mise en couple avec Louise. Je n’avais déjà plus de contact avec mon père, et ma mère était vraiment très homophobe. Je savais qu’elle ne me considérerait plus jamais comme la même personne après lui avoir dit. J’ai fait le choix de couper le contact, pour ne pas affronter des années de débat. Je n’aurais pas pu au quotidien gérer les remises en question, la violence verbale et psychologique. C’était la première fois que j’étais en couple, la première fois que j’étais heureuse, je commençais à construire ma vie et je ne voulais pas subir ça. Je sais qu’encore aujourd’hui qu’elle ne l’accepterait pas. On n’a plus eu de contact depuis trois ans. J’ai perdu ma grand-mère par la même occasion, je sais pourtant que malgré son âge elle aurait été plus bienveillante ; mais ma mère s’occupait d’elle comme elle était en fauteuil roulant. Je sais qu'il y a des parents qui sont prêts à remettre en question leurs biais pour comprendre leur enfant et préserver la relation, je trouve ça beau, j'aurais rêvé avoir ça.» — Shahrazed

  • Anthony : « Pour beaucoup de jeunes homosexuels, la première représentation d’une relation entre deux hommes quand on était à l’âge où l’on se pose des questions c’était à travers le porno gay. C’était une représentation de l’homosexualité trash, sans sentiment. Quand c’est la seule représentation que tu as, ça te fait grandir dans l’idée qu’une relation entre deux hommes ne peut qu’être basée sur le sexe, ça ne donne aucune perspective émotionnelle ou sentimentale pour un jeune qui s’imaginerait dans un couple homosexuel. Au final, on résume très souvent l’homosexualité autour d’une pratique sexuelle. »


    Jimmy : « Je pense que c’est pour cette raison que quand j’étais jeune, je ne m’imaginais pas dans un couple classique, une vie heureuse avec une maison et un chien. J’ai pensé pendant plusieurs années qu’une relation homosexuelle ne pouvait se vivre que par le sexe.
    Le porno a beaucoup contribué à forger l’identité gay, notamment sur les idées de rôles dans les relations sexuelles, top ou bottom, et l’impact de ces clichés dans l’identité d’un jeune qui découvre sa sexualité. Il y avait beaucoup de trash, de violence véhiculée par cet intermédiaire. Quand tu te lances dans la vraie vie, que tu as tes premières relations sexuelles, tu es bloqué dans ces images préconçues et c’est difficile de sortir de ces cases.
    En fait, pour beaucoup de jeunes homosexuels il faut d’abord déconstruire toutes les idées préconçues autour de l’homme gay, avant de pouvoir soi-même se construire en tant que personne. »


    Anthony : « Pour les personnes hétérosexuelles la pornographie a aussi grandement contribué à véhiculer des clichés, mais je pense que l’impact a été différent dans la mesure où l’aspect sentimental et le romantisme entre un homme et une femme amoureux étaient présentés à la TV ou simplement au quotidien dans des scènes de vie. Il y avait une sorte d’équilibre, une contre-balance à la pornographie dans la représentation globale des relations de couple.
    Même si cette idée de culture homosexuelle masculine autour du porno fait toujours beaucoup de mal, je pense que cette image autour des relations homosexuelles a évolué avec le mariage pour tous, on a enlevé cette case de simple relation basée sur le sexe, pour introduire l’idée que des couples pouvaient se construire, que deux hommes pouvaient avoir des sentiments l’un pour l’autre, vouloir construire une histoire sur le long terme, créer une famille avec de l’amour.

    C’est difficile de se construire avec des représentations inexistantes ou caricaturales. Si tu as comme référence une représentation basée sur des clichés, tu peux avoir tendance à vouloir te construire en opposition à ça et donc ne pas accepter certaines parties de toi ; ou au contraire te construire en te basant sur ces représentations et de fait ne pas vraiment t’accorder la liberté d’être réellement toi.

    C’est la responsabilité de toute génération de poursuivre les efforts de la génération précédente. Je pense qu’on doit aux activistes des années 90 de mener des petits combats à notre échelle, simplement vivre nos relations, les porter et en parler naturellement au quotidien pour banaliser l’amour entre personnes du même sexe. C’est un petit combat, mais il y a des sphères où c’est toujours compliqué de s’affirmer, même si on aimerait que ce soit normal de parler de notre vie personnelle comme tout le monde. Je pense que c’est le combat de notre génération, les grandes manifestations ont été menées, il y en a toujours, mais la plus grande mission de notre génération c’est de normaliser la présence de la communauté lgbtq+ dans l’espace public, que ce soit de par une conversation au travail où tu parles de ton copain, ou en se tenant la main dans la rue.

    Aujourd’hui, les représentations qui se construisent au cinéma, à la TV ou même dans la littérature sont beaucoup plus pensées, plus réalistes. Ce sont des représentations qui permettent de mieux se construire et de mieux imaginer l’avenir.
    Ce sont les évolutions politiques qui ont été suivies d’une hausse des représentations, peut-être l’inverse, je ne sais pas vraiment. Mais les combats ont eux-mêmes créé la représentation, d’abord politiquement, administrativement, sans émotion, puis ils ont permis l’introduction progressive de représentations en libérant les moeurs. »

  • « Je m’appelle Gabriella Cadabra, j’ai 22 ans. Lorsque l’on me demande mes pronoms je réponds souvent le « il non convaincu », je simplifie les choses car le iel est encore une gymnastique pour moi, comme pour beaucoup de gens. En drag c’est ELLE par contre. Au final, mon rattachement à un genre dépend des jours. Je crois que le terme non-binaire me correspond assez, mais j’ai beaucoup de mal à me l’approprier.


    Je n’ai jamais eu l’impression d’être représenté étant petit. J’aimais les choses artistiques. J’adorais Dalida, j’aimais aller voir des spectacles, j’ai commencé la danse à 4 ans et je n’ai jamais réellement arrêté. J’aimais l’expression qui était véhiculée au travers de diverses œuvres ou représentations artistiques. C’est surtout par la suite, lorsque je me suis rapproché de la communauté que je me suis identifié à certaines figures ou artistes (comme Minima Geste, Drag Queen parisienne qui était l’une de celles au fondement du Sidraction à Paris). Elle a été une sorte d’inspiration et j’ai eu envie de devenir moi-même un symbole de la prévention en terme de santé sexuelle au travers de mon art. Finalement, ce n’est qu’en grandissant et en allant chercher dans certains endroits « d’initiés » (grâce notamment à certaines personnes rencontrées sur des applications de rencontres lgbtqia+) que j’ai commencé à découvrir des symboles qui m’ont marqué.


    Grandir sans représentation implique une certaine solitude et incompréhension. Quand j’étais petit on ne pouvait simplement pas mettre de mot sur la non-binarité par exemple, alors comment on peut arriver à se comprendre si le vocabulaire lui-même n’existe pas ? L’absence de représentation dans la culture populaire joue aussi, plus jeune, j’aurais aimé avoir ne serait-ce qu’un personnage fictif qui me correspondait pour pouvoir envisager que ce que je ressentais existait. » — Gabriela

  • « J’ai été empreint·e à beaucoup de questionnements, autour de la bisexualité, de la trans-identité, mais c’est le sentiment d’être queer qui a perduré avec les années. Je me suis d’abord rendu compte que j’étais bi, puis je me suis demandé·e si ça n’étais pas pour le paraître et si je n’étais pas plus lesbienne ou plus hétéro. Une fois cette question réglée, j’ai commencé à me questionner sur mon genre. Je me suis rendu compte que je n’étais peut-être pas une femme. Ce sont des questions qui sont venues les unes après les autres. Être queer, pour moi, c’est un terme parapluie pour dire qu’on appartient à la communauté lgbtq+, qui permet de ne pas s’enfermer de nouveau dans une case. Il y a aussi cette idée d’être out avec un côté un peu plus politisé. C’est un terme qui est plus simple, dire qu’on est queer ça nous autorise à ne pas se mettre une étiquette trop précise. Ça me permet d’exprimer que je ne suis pas cis et hétéro par défaut, sans pour autant entrer dans le détail.


    C’est plus récemment, j’avais 18-19 ans, qu’un jour j’ai eu une sorte de révélation. Je me suis regardé·e dans le miroir et je me suis dit « il y a un truc qui ne va pas ». Jusque-là je faisais peu de dysphorie au sujet de ma poitrine, puis à partir de cette période c’est devenu plus fort. J’étais déjà un peu plus familière à la notion de non-binarité ; mais j’ai encore eu cette phase de questionnement : est-ce que je ne fais pas semblant, est-ce que je ne suis pas plus un genre ou l’autre ? C’est un perpétuel recommencement.
    Quand je me suis questionné·e sur mon genre, j’ai eu la chance de trouver un peu plus de représentation. Elle était produite par des gens comme moi qui partageaient leur expérience via les réseaux sociaux. Je pense que dans notre génération on s’est construits un peu les uns avec les autres, en même temps, en partageant nos expériences grâce aux réseaux.


    J’étais heureu·se·x d’avoir accès à ces représentations quand la question du genre s’est présentée à moi, pourtant je sais qu’elle aurait pu arriver bien plus tôt mais que c’était un sujet encore trop peu visibilisé quand j’étais plus jeune. Quand j’étais petit·e il n’y avait aucune représentation queer autour de moi, aussi bien dans les livres et les films que dans la vie. Je lisais plus de la science-fiction, de la fantaisie et des romans pour ados qui étaient vraiment marqués par les schémas sociétaux classiques. Dans la campagnes dans laquelle j’ai grandi, il n’y avait pour ainsi dire aucune personne qui se présentait ouvertement comme lgbtq+, dans mes proches non plus. Je pense que les premières représentations queer populaires ou simplement qui cassent les codes du genre sont apparues dans la musique et à la TV mais je préférais lire donc j’y avais peu accès. Pourtant, si tu réfléchis bien, les lectures de science-fiction, et de fantaisie sont assez propices pour accueillir les questions de genre notamment. J’ai lu au lycée le livre La main gauche de la nuit d’Ursula Le Guin qui évoquait tout un peuple d’extraterrestres pour lequel les frontières du genre étaient vraiment différentes des nôtres, ça m’a particulièrement marqué·e.


    On a besoin des représentations pour se construire mais on a aussi besoin des représentations pour que les autres y soient exposés pour pouvoir nous comprendre et nous accepter. C’est d’autant plus important que le système hétéro-normé prend tellement de place que, même entouré de personnes qui essaient de s’en détacher, ça reste excessivement difficile de l’empêcher de nous influencer.


    Souvent dans la communauté lgbtq+, on s’est éduqués nous-mêmes, déjà parce qu’on a l’habitude : on a dû le faire pour se comprendre nous-mêmes face à une société qui ne nous représentait pas ; mais on le fait aussi pour ne pas demander en permanence des explications aux personnes concernées, parce qu’on sait combien c’est difficile et l’énergie que ça demande de toujours devoir expliquer sa réalité.


    Au début de notre relation, pour moi, sortir ensemble s’apparentait à un combat politique comme un autre. Le fait de s’assumer, de s’afficher dans la rue, de potentiellement se prendre des remarques : juste s’aimer, c’était politique. » — Margot

  • « Je pense que de mon côté j’ai rapidement conscientisé que c’était à nous, et que c’était nous, qui étions en train de créer les représentations, notamment du point de vue du langage. On commence à mettre des mots sur les choses quand elles sont mises en lumière. Ça n’est pas toujours fait de la bonne façon. Avant, pour la communauté lgbtq+, le lexique était dominé par des insultes, on avait presque que ça, ou alors des termes très scientifiques. J’imagine qu’on réalise qu’on commence à avoir des représentations assez satisfaisantes à partir du moment ou l’on commence à avoir des termes adéquats. Après les termes on peut s’en émanciper, mais au début il faut les créer pour normaliser, puis s’en détacher.
    Il y a par exemple le concept d’« hétéro-normativité ». Avant que le terme ne soit créé et utilisé, le schéma patriarcal hétéro-normé était une norme absolue, le terme a permis de concrétiser l’idée que c’est une conception sociétale fabriquée de laquelle on peut se détacher.


    L’apparition et l’usage d’un lexique avec plein de termes propres et spécifiques pour caractériser les différents profils au sein de la communauté en est représentatif. Il y a encore 5-10 ans on n’avait pas tous les termes qui ont permis aux personnes de la communauté lgbtq+ de s’affirmer. Le fait de caractériser les personnes non-binaires, asexuelles… est assez récent. Ces termes ont permis aux gens de se rassembler et de déconstruire les codes sociaux.


    Grandir sans représentation, ça m’a fait perdre un temps fou. Même une fois que j’ai fait mon coming out, avec du recul j’ai eu le sentiment de perdre du temps dans ma construction individuelle : j’ai été stéréotypé sur beaucoup de choses, moi-même j’ai eu des pensées stéréotypées que j’ai mis du temps à déconstruire. Le temps perdu on ne le réalise pas sur le moment, c’est à postériori qu’on se dit que ces représentations, ces termes, ces symboles nous ont manqué pour notre culture, notre éducation et notre ouverture d’esprit.


    Plutôt que de construire notre propre image, on doit finalement déconstruire le calque d’une image qui nous est imposée. Tout le monde doit faire ça, mais quand tu es si peu représenté dans la société forcément c’est plus fort. » — Guéric

  • « J’ai subi de nombreuses violences, surtout verbales dès très jeune par rapport à mes attirances, à cette époque je ne me comprenais même pas moi-même. Souvent ces violences étaient basées sur des clichés, principalement car j’étais l’un des seuls garçons à faire de la danse et avoir une sensibilité plus développée et/ou apparente.


    Je parle facilement de ma sexualité et mon identité autour de moi (famille, amis, entourage…). J’ai décidé d’avancer et de m’éloigner des personnes qui ne m’acceptaient pas. Néanmoins, avec certaines personnes ou dans certaines situations je me protège en me limitant dans ce que je dis, notamment avec la famille du côté de mon papa ou dans un de mes emplois auprès de jeunes lycéens. Je ne vis pas au quotidien avec une sensation de peur mais j’adapte certains de mes comportements afin de m’assurer une certaine sécurité. Je pense qu’il s’agit d’un combat qui doit encore être mené : pouvoir vivre, parler, se déplacer librement et en sécurité, simplement exister, peu importe ce que l’on renvoie aux yeux de la société, sans que ce soit une charge suscitant du stress et même de la peur. » — Gabriela

  • « J’utilise le prénom Reita, c’est mon deuxième prénom. J’ai 29 ans. Je suis né en région parisienne, j’ai fait mes études là-bas. À l’âge de 18 ans j’ai eu envie d’aller ailleurs, de partir. À 22 ans j’ai déménagé à Londres, j’y habite depuis.

    Mes parents sont musulmans, ils sont nés en Mauritanie puis ont immigré en France où je suis né. Dans ma famille l’homosexualité est un sujet totalement tabou. Je suis aussi l’aîné, ce qui a entrainé beaucoup de pression. Mes parents me demandaient continuellement que je leurs présente une copine, j’avais du mal à le supporter donc j’ai préféré partir construire ma vie ailleurs. Je pense que c’est la meilleure décision que j’ai prise, je n’aurais jamais réussi à être aussi heureux si j’étais resté.

    À Londres j’ai rencontré plein de personnes bienveillantes qui m’on aidé à me découvrir, j’ai aussi rencontré mon copain avec qui je suis depuis 6 ans.


    Quand j’étais plus jeune je regardais beaucoup la télé-réalité, je me souviens de Secret Story avec les personnages de Thomas et Benoit, ou encore Vincent Mc Doom, je les trouvais cool. Je pense que ce sont les premiers symboles auxquels j’ai pu me rattacher, c’était dans les années 2010, j’étais déjà grand.

    J’ai mal vécu les clichés lié au « personnage » caricatural de l’homosexuel à la démarche efféminé, ça ne me correspondait pas et j’avais beaucoup de mal à me sentir proche du peu de représentations qui existaient. En tant que personne noir, mon profil était totalement inexistant, même en incluant les représentations clichées, il n’existait aucun homosexuel noir, ni dans les médias, ni même dans l’art, encore moins dans mon entourage. C’est compliqué, on se sent seul quand on est jeune et qu’on a besoin de se sentir compris.

    Encore aujourd’hui, il y a peu d’homosexuels noirs en France dans la sphère publique.

    Je participe à beaucoup de projets de court-métrages d’amis ou de personnes dans le cinéma, c’est important pour moi de créer cette représentation d’homme gay noir dont j’ai manqué. C’est une responsabilité de faire partie de la génération qui visibilise, qui informe, qui normalise. Il faut faire en sorte que la jeunesse qui fera son coming out dans dix ans, que celles et ceux qui devront passer par une transition, ne subissent pas l’angoisse que les générations précédentes ont subi.


    Je pense que pour de nombreuses personnes avec une famille très religieuse, il y a une pression du contexte familial qui fait que c’est très difficile de s’accepter, très difficile de sortir des codes et des attentes au sein de son foyer. On sait que qui l’on est va très certainement être un problème pour nos parents, qui risque de dépasser les limites de ce qu’ils conçoivent comme bien ou mal. Je pense que la religion musulmane est une des plus strictes à ce sujet. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai grandi avec la présence de la religion, mais moi-même je suis croyant. Je crois en Dieu, je ne sais pas réellement en qui je crois parce que c’est difficile de croire en un Dieu à qui on ne semble pas correspondre. Pour autant je crois en Dieu, c’est quelque chose qui me dépasse, que je ne contrôle pas. C’est un sentiment difficile à vivre, de se sentir proche de croyances qui nous excluent, alors que pourtant nous on se sent en faire partie. Comment se consacrer à un Dieu qui nous a façonné d’une manière qui, selon les aspects culturels de cette religion ne semble pas nous accepter ? Pourtant je crois, ça me dépasse mais je crois.

    Me découvrir et conscientiser mon orientation sexuelle m’a éloigné en partie de la religion d’abord, surtout parce que mes parents me disaient que mon monde et la religion ne pouvaient pas coïncider, pourtant quand ça fait partie de nous on ne peut pas s’arrêter de croire. » — Reita

  • « Je m’appelle Jimmy, j’ai 26 ans, je suis franco-vietnamien. Le rapport entre mon identité à la maison avec ma famille vietnamienne, et l’identité que je portais à l’extérieur m’a toujours poussé à me poser des questions. L’origine ethnique et sociale qui me définie prend beaucoup de place dans ma tête, je l’ai conscientisé tard, aujourd’hui c’est un centre de revendication, de questionnement, ça fait partie de moi. À la maison, on ne parlait pas politique. Mes parents n’avaient pas tous les outils pour comprendre les détails de la société et de la politique française, c’est dur de comprendre ce qu’il se passe autour de toi quand tu ne comprends pas bien la langue, quand tu n’as pas toutes les clés historiques. Quand j’ai rencontré Anthony je lui ai confié mon sentiment de manque de connaissance par rapport à ces domaines, surtout autour de sujets qui me concernent pourtant directement. Pendant longtemps il y a ce sentiment de ne pas être 100% français qui m’a accompagné. Aujourd’hui j’ai compris qu’une identité pouvait être composée.


    J’ai d’assez bons souvenirs de quand j’étais tout petit et de mon cheminement par rapport à mon orientation sexuelle. En fait il n’y a pas réellement eu de cheminement pour moi parce que ça a été une évidence dès très jeune, mais plutôt un cheminement vis à vis des autres et de la société.
    J’ai grandi dans une cité, à Trappes. Je me souviens du primaire où on était insouciants, il n’y avait pas de sexualisation. Je savais déjà que je préférais les garçons mais tout était simple, à cet âge là personne ne se pose trop de questions, ça n’est pas un sujet. Je me souviens au début du primaire d’embrasser un autre garçon sur la bouche et c’est là que j’ai commencé à comprendre que ça ne se faisait pas aux yeux des autres. Les copines que j’avais m’ont dit qu’elles allaient le dire, que c’était une bêtise. La transition entre la fin de la maternelle et la primaire, c’est là où j’ai compris, j’ai commencé à me cacher, à faire attention à ce que je disais, ce que je faisais et avec qui je restais. C’est là aussi que les questionnements sont arrivés : mes parents me demandaient si j’avais plutôt des copains ou des copines, on me disait qu’il fallait trainer avec des garçons, que j’avais trop d’amies filles et que c’était bizarre. J’ai compris très jeune que je devais cacher certaines choses, que sinon j’allais avoir des problèmes. J’aime bien la métaphores des « boîtes dans des boîtes », c’est comme ça que je me sentais : à la maison j’étais le petit français parfait de la famille, je devais absolument réussir pour ne pas décevoir mes parents ; et à l’extérieur je devais aussi garder pour moi mes émotions et mes sentiments car ils n’étaient pas acceptés. Je ressentais beaucoup de pression de la part de mes parents, j’étais le seul enfant de ma fratrie né en France, je devais réussir c’était comme ça, il fallait correspondre aux codes sociaux de la société en France.
    Toute la primaire jusqu’au collège j’étais à Trappes, c’était l’enfer, c’était invivable. J’ai subi beaucoup de discrimination, du harcèlement, basé sur mon origine ethnique et mon orientation sexuelle présumée par les autres. D’abord c’était simplement des remarques, des insultes, puis au collège il a fallu commencer à se battre pour se défendre, raser les murs parce qu’on voulait te frapper à l’heure de la sonnerie, des groupes de collégiens s’amusaient à « taper des PD », souvent en groupes.


    Quand je suis entré au lycée j’ai demandé à mes parents de partir au lycée de Montigny. Je m’en fichais de faire des heures de transports par jour, j’avais juste besoin de partir de là où j’étais. Je pensais qu’en sortant du milieu populaire de banlieue d’où j’étais originaire ce serait plus facile. Je suis entré dans ce lycée public, assez bourgeois, avec un très haut taux de réussite scolaire. J’étais fier d’être arrivé là, j’avais travaillé dur pour avoir de bonnes notes et y être accepté. Au final, j’avais mes amis, je n’avais pas de problème avec le fait qu’ils le sachent, pour autant j’ai conscientisé à cette période que même là, mon attirance pouvait me desservir, que c’était un sujet personnel. Pendant la période du lycée, je l’ai gardée pour moi, aussi bien à la maison qu’en dehors. Dans ce lycée plus privilégié j’ai aussi subi des discriminations, surtout basées sur le fait que je sois enfant issu de l’immigration, que je vienne de Trappes, portant sur mes épaules tout le bagage et les clichés que ça implique. Sur mon orientation sexuelle je me sentais un peu plus libre, peut-être parce que j’avais grandi aussi, mais j’avais toujours ce poids d’une identité qui ne correspond pas au schéma idéal qui était mis en avant.


    J’ai commencé à développer cet aspect de mon identité (mon homosexualité) via les réseaux sociaux à cette période. Je pense que ça m’a aidé à garder ça pour moi dans la vie quotidienne. Je discutais en ligne avec des garçons, j’ai commencé à rencontrer des personnes que j’avais connu grâce à Twitter. J’ai eu mon premier copain à 15 ans comme ça. Personne ne le savait, ni ma famille, ni même mes amis très proches, c’était vraiment personnel. C’est comme si j’avais libéré ma vraie identité grâce aux réseaux, je me sentais plus entouré, mais dans la vie en général tout ça restait secret. Comme beaucoup de personnes de la communauté lgbtq+, j’ai vécu cette expérience de première relation, premier amour, totalement seul, dans le secret. C’est toute une expérience de vie que tu gardes pour toi, que tu ne peux pas partager. Puis tu rentres à la maison et ta famille te demandes si tu as une copine, alors tu réponds que tu es trop occupé, que tu te concentres sur les études. — Jimmy

  • Louise : « Quand tu n’as pas conscience qu’une certaine représentation peut exister, ou que tu ne sais même pas te définir, tu ne cherches pas vraiment de personnes à qui te référer car toi-même tu ne sais pas vraiment ce qui te correspond. »


    Shahrazed : « J’ai découvert Habibitch quand j’avais 18 ans, ça a été une véritable révélation. Enfin une personne queer, algérienne, qui revendique des identités multiples, quelqu’un qui les incarne dans l’espace public. »


    Louise : « Grandir sans représentation ça implique pour de nombreuses personnes de ne jamais se questionner sur sa position et accepter l’hétérosexualité par défaut, qu’elle nous convienne ou non. Tu dois être un couple avec un homme, c’est comme ça, tout le monde le fait, il n’y a pas vraiment d’autre option. Les relations hétéro ne me convenaient pas mais je pensais que c’était le seul modèle, alors je ne me posais pas plus de questions puisque je ne voyais pas d’autre alternative.
    L'hétéronormativité est une construction sociale qui dicte tes relations sans que tu ne puisses la remettre en question.

    Avec du recul, le manque de représentation dont on a souffert étant plus jeunes me met en colère contre la société, le patriarcat. Je suis en colère qu’on ait à se battre pour savoir qui l’on est plutôt que ça vienne à nous sans qu’on se remette en question dans ce que l’on est et notre valeur. J’aurais aimé que le lesbianisme vienne à moi de façon naturelle. Pour notre génération et encore plus celles d’avant, ça a été un combat pour simplement pouvoir envisager qu’il y ait d’autres possibilités que le schéma classique, alors qu’on sait déjà combien c’est compliqué de faire son propre cheminement. Quand tu n’as pas de représentation tu te sens perdu, tu peux avoir l’impression que tu fais quelque chose de mal, de bizarre, que qui tu es ou tes sentiments sont anormaux. Si par chance tu arrivais à trouver des représentations, elles restaient très largement minoritaires, et c’est encore le cas aujourd’hui même si ça a énormément évolué. Encore dans les années 2020, on est conscient que lorsque tu es une personne queer tu dois te battre toute ta vie pour simplement exister tel que tu es. »


    Shahrazed : « Je ressens une grande responsabilité en tant que génération qui normalise, visibilise, rend la représentation accessible. Parfois j’ai l’impression de faillir à ça, parce que j’ai du mal à donner de l’affection en public à Louise alors qu’elle y arrive plus facilement. On a déjà subi des agressions, et dans ma tête la sécurité prime sur l’impact de visibilisation que peut permettre notre relation ; pourtant j’aimerais vraiment que ce soit différent. Je me dis que je se tenir la main dans la rue pourrait contribuer à la normalisation dans l’espace public, mais il faut considérer la mise en danger qui va avec. »


    Louise : « On a subi tellement de discriminations que c’est difficile d’en mettre une seule en lumière, c’est quelque chose de quotidien. Il y a des micro-agressions constantes, des regards, des réflexions... Soit nous sommes considérées un couple dans la rue et nous subissons des agressions, soit nous ne le sommes pas et je me fais draguer; quand je dis que je suis en couple avec Shah, même si elle est à côté, les hommes ne le prennent pas en considération. C’est pour tout, tout le temps, lorsqu’on cherche un logement par exemple, il faut toujours mentir, dire qu’on est amies ou cousines, parce qu’on ne peut pas prendre le risque de se voir refuser un logement à cause de la lesbophobie. C’est une violence de tous les jours. »


    Shahrazed : « Je trouve que les nouvelles générations qui arrivent ont beaucoup de connaissances sur le sujet. On sent que les choses ont évolué, que les luttes des années 90 et 2000 contre les violences, et les luttes pour les droits des années 2010, ont permis de changer les choses et qu’elles peuvent continuer à le faire. Il faut continuer à politiser nos amours, garder ces luttes vivantes car il y a encore à faire. Il y a des victoires et il en faut plus, pour tous ceux et celles qui se sont battus. »

  • Camille : « Ce sont mes amis qui d’abord ont posé les mots pour moi, en me suggérant que j’étais peut-être bi, peut-être pan. C’est venu comme ça, puis j’ai réalisé que je n’étais pas bi, que je fonctionnais à la personne, au ressenti, sans m’attacher au genre. Ce sont toujours les personnalités qui m’ont attirée. Au bout de quelques mois j’ai choisi de me définir par l’étiquette de « pansexuelle ». J’ai un esprit qui a besoin d’ordre, de définir les choses, c’était nécessaire pour moi de m’identifier.
    Et puis, il y a quelques moi, une autre question s’est ajoutée : c’est celle du polyamour. Ça m’est un peu tombé dessus par hasard. Je suis avec Margot et je l’aime. On s’est rencontré.es il y a cinq ans, mis.es ensemble il y a trois ans et on habite ensemble depuis un peu plus an. Il y a quelques mois cette question est arrivée de mon côté. C’est compliqué à mettre en place au quotidien, en étant confronté.es aux réflexions que ça génère. Margot était familier.ère avec la notion avant de me connaitre même si elle ne s’y identifie pas. »


    Margot : « Mes parents ont été en trouble pendant un moment quand j’étais au collège. Ils ont vécu avec la mère de mon demi-frère pendant un moment, ensuite mes parents se sont séparés et mon père s’est mis en couple elle uniquement. Dans ma tête c’est quelque chose que j’ai connu très jeune.
    Aussi, je ne suis pas quelqu’un de jaloux, donc c’était plus facile pour Camille de discuter avec moi de ses questionnements internes sur le polyamour. »


    Camille : « Ça fait un mois que je fréquente quelqu’un d’autre en dehors de ma relation avec Margot.
    Margot le vit assez bien, c’est plutôt moi qui suis en questionnement constant. Je me demande si un jour je vais arrêter d’aimer Margot. L’autre personne que je fréquente n’est aussi pas du tout jalouse, Margot et elle s’entendent bien ; dans la pratique c’est incroyablement facile de mener ces deux relations en parallèle et ça convient à tout le monde. Au final, c’est moi qui, au milieu de tout ça, m’inquiète de comment gérer cette situation alors que pourtant ça marche sans problème.
    Margot est moi, on s’est mises ensemble alors qu’on avait seulement 19 ans. On s’était dit que notre couple ne serait pas forcément exclusif. Dans les faits notre relation était exclusive jusque-là, mais on a toujours discuté de nos sentiments, des attirances qu’on pouvait avoir pour d’autres personnes.
    À chaque fois que je découvre un nouvel aspect de mon identité queer, il y a la lecture avec tout ce qu’il s’est passé avant dans ma vie ; j’ai réalisé que dès le début de notre relation j’avais déjà eu des sentiments pour d’autres gens, ce qui n’enlevait rien à mon amour pour Margot.
    Et puis, il y a quelques mois, mon attirance pour Dana, la personne avec qui j’ai une relation en parallèle de ma relation avec Margot, s’est avérée réciproque. J’ai réalisé que ça pouvait aboutir à quelque chose alors que jusque-là j’avais pu être attirée par d’autres personnes mais ça ne se concrétisait jamais et Margot séchait mes larmes derrière. Cette fois ça a fonctionné.
    Entretenir deux relations comme ça, ça demande beaucoup d’organisation. Je passe plutôt du temps avec Dana à la fac, tout le monde est au courant que je la fréquente, et que je suis aussi toujours avec Margot. Au début les gens se sont posés des questions, puis on leurs a expliqué et ça s’est très bien passé. On se voit aussi quand Margot rentre voir sa famille par exemple. C’est encore assez récent alors on cherche encore nos marques pour que tout le monde soit confortable dans cette relation.
    Je sais très bien qu’à la place de Margot je n’arriverais pas à savoir que la personne que j’aime est dans une autre relation. J’ai trop de peurs personnelles, je serais toujours inquiète de ses sentiments. Pour l’instant on ne se projeter pas tellement, on se construit et on apprend au jour le jour. Margot et moi on a des projets communs sur plusieurs années ; mais c’est très dur d’envisager les relations polyamoureuses dans le temps puisqu’il n’y a aucune représentation.

    Je n’ai pas ressenti ce besoin de représentation en ce qui concerne la pansexualité, par contre pour le polyamour je suis consciente que l’absence d’exemple m’a limitée dans ma perspective des relations sentimentales. J’aurais aimé voir des histoires hors des normes qui pouvaient fonctionner. Quand je me suis rendu compte que j’étais polyamoureuse, une des seules représentations que j’avais c’était dans la version contemporaine de The L World, où le couple en polyamour ne tient pas. Je ne veux pas finir comme ça, j’aurais aimé pouvoir m’identifier à des schémas positifs. Avec Margot on a commencé chercher et faire des listes dans les séries et les films de couples en polyamour où ça fonctionnait. On a finalement trouvé de la représentation positive dans Sense 8, mais ça a pris du temps. En plus du jugement des autres qui m’affectait, j’avais mes préjugés personnels qui me faisaient souffrir. J’ai ressenti beaucoup de culpabilité. Et puis d’un autre côté je ne voulais pas passer à côté de mon autre relation. Si j’arrive à la vivre maintenant c’est qu’elle était possible, et pourquoi je m’en priverais si ça convient à tout le monde ? Mais c’est une déconstruction mentale qui prend du temps et qui me replonge très régulièrement dans des questionnements internes. »


    Margot : « C’est un peu le fond du problème. Il existe peu de représentations, mais en creusant il en existe quelques unes. Par contre, pour trouver une représentation réaliste et surtout une représentation positive et pas mélodramatique, simplement celle d’une histoire banale dans laquelle le personnage que ne meurt pas à la fin ou ne se fait pas chasser par ses parents, c’est beaucoup plus compliqué. C’est le cas concernant l’ensemble des représentations de la communauté lgbtqia+. »

  • Gabriel : « Guéric et moi, on s’est rencontrés sur Grindr, on ses fréquentés pendants quelques mois puis on s’est mis en couple il y a un peu plus d’un an.
    À l’âge de 15 ans j’ai commencé à me poser beaucoup de questions, et j’ai fini par comprendre ma sexualité pendant mon année de première, mais je n’étais pas vraiment sûr. Mes parents avaient le discours typique « peut-être que du te cherches ». Dans le même temps je suis sorti avec des filles - j’essayais de me comprendre, à la fin de mon année de première j’étais sûr. J’ai fait mon coming out à 16 ans. Je viens d’une petite ville dans le sud de la France, à côté de Toulon. Je pense que la tolérance et l’acceptation évoluent avec le temps, différemment selon les zones géographiques aussi. J’ai passé mon adolescence dans un tout petit village de campagne. Quand j’ai fait mon coming out on devait être deux dans tout le lycée à s’affirmer. Je me souviens d’aller passer mon bac dans la grande ville la plus proche et de voir des couples de même sexe se tenir la main, ça m’a marqué parce que c’était quelque chose de difficilement envisageable chez moi.
    Je pense qu’on a grandi en étant hyper conscients que ça n’était pas quelque chose de normalisé de montrer qu’on faisait partie de la communauté lgbtq+.
    J’ai un de mes amis d’enfance qui a grandi dans le sud aussi, il a fait son coming out pendant son adolescence comme moi, et il a été harcelé, frappé, violé. C’est dur de dire si c’est à cause de l’endroit, de la génération, d’un groupe qui s’est formé ; mais une chose est sûre, c’est loin d’être le seul à qui s’est arrivé. »


    Guéric : « Je pense que quand tu réalises ton orientation sexuelle, tu t’inquiètes d’abord pour tes rapports à ta famille, tes proches, c’est un peu après que tu te questionnes sur la place dans la société - en tout cas ça s’est passé comme ça pour moi. Personnellement, j’ai toujours été tiraillé par deux tendances : vouloir appartenir à un groupe et en même temps ne pas vouloir perdre ma spécificité. J’avais peur en faisant mon coming out de me démarquer encore plus des autres, d’être plus isolé. Je me suis rendu compte que j’allais devoir défendre certains points de vue et ne plus pouvoir laisser passer certaines choses.
    Quand j’étais plus jeune je faisais attention à comment je m’habillais, je ne voulais pas que selon mon style on m’attribue l’étiquette gay, même si j’étais confortable avec ça, je ne voulais pas qu’on me représente par ça.
    En grandissant, je n’avais aucun symbole, aucune représentation à laquelle me rattacher. Les personnages féminins me parlaient plus, que ce soit des célébrités, des artistes. J’ai eu pendant longtemps une peur du masculin. Tous les personnages gays de la culture populaire étaient présentés de façon humoristique - c’était compliqué de s’identifier à eux. On avait dépassé les années de la Cage aux folles, mais trouver une représentation positive lgbtq+… on en était encore loin.
    Il y avait quelques personnes qui se détachaient un peu des autres, mais ce n’était jamais dit explicitement. Je pense à Christophe Willem : un mec qui chantait avec une voix fluette, aiguë, qui ne répondait pas aux codes de la masculinité - pour autant sans répondre aux codes de l’icône queer et sans affirmer d’appartenance spécifique. À l’époque je ne réalisais pas, je ne l’ai pas ressenti tout de suite comme une représentation de mon orientation ou de mon identité, mais je me suis senti proche de l’image qu’il renvoyait. Je devais avoir 12-13 ans. Ça reste un symbole très minime, et en réfléchissant, je ne pense pas à une seule personne à laquelle j’ai pu concrètement m’identifier ou me rattacher en grandissant. »

  • À la fin des années 90 et au début des années 2000, on assiste à un début de diffusion de séries incluant une première représentation de la communauté LGBTQ+, elle est faible, elle est caricaturale, mais elle commence à apparaître. Avant ça on avait eu Freddie Mercury dans les années 70 - 80, la Cage aux folles à la même période, mais les symboles Queer étaient toujours caricaturaux, teintés de désespoir, marqués d’un avenir tragique, avec comme point de visibilité les premières heures du Sida, stigmatisant encore plus la communauté gay. En parallèle les autres lettres qui composent le sigle LGBT, qui s’étendra dans les années 2010 à LGBTQIA+ sont toujours invisibilisées.


    C’est cette génération née dans les années 90 et ayant grandi dans les années 2000 qui a contribué à forger, développer les représentations queer au sens large - celles qui veulent parler à tou.te.s. Les icônes queer sont devenues plus nombreuses, plus spécifiques, le vocabulaire s’est enrichi et avec lui la compréhension de soi, la compréhension de l’autre.


    Avec le projet « identités queer et années 2000 », nous avons débattu sur ce que c’est que d’être la génération qui façonne les représentions, ce que ça implique de grandir sans elles et avec le besoin foncier de les créer. Avec des brides d’histoires personnelles nous avons tracé un portraits de la jeunesse queer française des années 2000.
    Paris, Mai 2023