Fiora Garenzi

  • Pour des raisons de sécurité, ils ne peuvent pas donner le nombre exact de soldats dans leur unité, mais ils sont nombreux. Mobilisés par choix depuis 2014 ou presque pour certains, ou appelés après les attaques du 24 février 2022 pour d’autres, les soldats ukrainiens composant la brigade 72 sont spécialisés dans l’artillerie - tireurs de mortiers, mitrailleurs, tankistes, javelins, défense anti-tanks, principalement.


    Ces hommes ont lutté dans la bataille de Kyiv, défendu Kharkhiv, Bakhmout, et nombre des villes centrales de combat depuis plus d’un an et demi. Depuis l’hiver, ils sont mobilisés dans la bataille de Vuhledar, il y a quelques mois encore ville minière, aujourd’hui cité en ruine dont les abords sont couverts de tanks détruits. C’est une nouvelle bataille déjà ancienne pour les hommes de la 72 au vu de sa durée. Dans les tranchées et en base arrière autour de Vuhledar le temps est long, les journées se répètent, et chacun cherche à occuper les minutes de silence qui laissent un peu trop de temps pour se rappeler de chaque jour passé moins calme et appréhender les prochains.



    La liberté ou la mort, l’Ukraine ou la mort, Unité 72 (2022-2023).

  • Igor et Ceva, près de Vuhledar, juin 2023. Les lieutenants de la sous-unité des mortiers sont installés dans une des maisons abandonnées dans le dernier village avant Vuhledar, lieu de bataille depuis l’hiver. Depuis leur base arrière ils coordonnent leurs hommes dans les tranchées à moins de deux kilomètres.

  • Toretsk, juin 2022. Équipement nécessaire pour une semaine dans les tranchées.

  • Oleksander conduit un camion rempli de soldats vers la ville de Vuhledar, juin 2023. Chaque jour la ligne de front se déplace de quelques mètres au coeur du centre-ville totalement détruit.

  • Base arrière, près de Vuhledar, mai 2023. Les roulements se font souvent le dimanche, parfois le lundi. Les soldats qui viennent de passer la semaine dans les tranchées rejoignent des maisons à quelques kilomètres de la ligne de front pour prendre un peu de repos.

  • Marian, soldat de la sous-unité des mitrailleurs, près de Vuhledar, juillet 2023.

  • Collier avec l’emblème de l’Unité 72 et sa devise « L’Ukraine ou la mort » dérivé de « La liberté ou la mort » (Україна або смерть), près de Vuhledar, juillet 2023.

  • « Beaucoup d’entre nous portent une grenade sur eux en permanence. C’est au cas où ils se fassent attraper par les russes. On sait très bien qu’ils n’acceptent jamais de relâcher les gars de l’artillerie, alors si tu te fais prendre tu montes la grenade et tu te fais sauter avec eux », explique Yura, soldat de la sous-unité des mortiers, en décrochant une petite pochette attachée à la ceinture de son uniforme pour en sortir une grenade, accompagnée de sa goupille, soigneusement emballée dans un mouchoir. Si l’armée russe ne relâche jamais les soldats de l’artillerie ukrainienne, c’est parce que ce sont eux qui causent le plus de pertes selon Yura ; des soldats ennemis peuvent accepter de libérer un homme qui, à l’aide de son AK en a tué quelques autres et en tuera peut-être quelques uns de plus, mais il n’acceptent jamais de libérer celui qui lance des roquettes faisant exploser des chars et  causant des pertes matérielles majeures. Alors, tous les jours au réveil, Yura raccroche cette même grenade à sa ceinture, au cas où aujourd’hui il ait à s’en servir.  


    L’épuisement se lit le plus sur leurs visages le matin, étonnement, pendant les quelques minutes où, l’esprit encore  brumeux, ils cherchent un sens à cette vie, à la mort, à la guerre. C’est à cet instant précis que l’un d’eux me confie croire entendre la voix de sa femme certains matins, à la place de celle des soldats qui parlent à la radio pour faire état de la situation actuelle. Certains matins, l’urgence des informations données à la radio le ramène très vite à la réalité, d’autres, il s’autorise à rêver quelques minutes.


  • Préparation des mortiers, près Vuhledar, juin 2023.

  • Près de Vuhledar, Mai 2023.

  • Jan, tranchée près de Vuhledar, Juin 2023.

  • Le plus jeune des soldats tireurs de mortiers de l’unité 72 avait 18 ans lorsqu’il a été mobilisé après les attaques de février, mais ils sont nombreux à n’avoir qu’une petite vingtaine d’années et n’avoir jamais combattu avant. Pourtant, en un an et demi, certains simples soldats parmi les plus jeunes, ont reçu le grade de lieutenant, puis de capitaine, endossant des responsabilités majeures - comme Igor, lieutenant déjà à l’âge de 22 ans, ensuite promu capitaine en août dernier, à seulement 24 ans. Et puis, il y a ceux, qui, plus âgés, ont des enfants qui sont eux-mêmes déjà engagés, comme Ceva. Alors, en base arrière, Ceva cuisine le poisson fraîchement pêché dans la matinée pour Igor, comme il le faisait pour ses garçons à la maison. Le temps de quelques minutes il oublie presque qu’il n’a pas vu le plus grand de ses fils depuis près de deux ans et sa femme depuis près d’un an.  


    Tous ont rejoint les forces armées ukrainiennes, comme ils le disaient en février un an plus tôt, « non pas pour tuer mais pour défendre », défendre leur pays, défendre leur peuple, dans l’espoir que leurs familles puissent un jour connaître la paix. Après un an et demi de combat pour certains, et parfois neuf années pour d’autres engagés depuis 2014, quelques discours deviennent plus radicaux qu’il ne l’étaient. Il faut dire que la situation a évolué et que les traumatismes ont été grands. Viktor est mort sous les yeux de Ruslan, Roman est mort à quelques mètres de Yura et Sacha, qui, couverts par les tirs ne pouvaient pas lui porter secours et ne pouvaient qu’écouter passivement son agonie, Yuri a perdu sa jambe gauche à cause d’une frappe aérienne, les autres blessés graves sont nombreux.
    Le quotidien des hommes de l’Unité 72 est rythmé par les bombardements et les avancées russes, par les pertes aussi ; marqué par l’attente, longue, et les moments de silence accentuant d’autant plus le bruit qui les succédera. Et puis, il faut essayer d’occuper le temps, non pas pour oublier mais simplement pour ne pas penser sans cesse. « La liberté ou la mort, l’Ukraine ou la mort » (Україна або смерть), devise inscrite sur le blason de l’unité, évoque le dévouement des soldats de la 72, laissant derrière eux, pour un temps, ils l’espèrent mais ont de plus en plus de mal à y croire, la vie civile auprès des leurs.


  • Tankistes, Anatoli et Denis, près de Vuhledar, juillet 2023.

  • Repos en base arrière pour les soldats qui ont quitté les tranchées, sous-unité des mortiers, près de Vuhledar, juin 2023.

  • Calcul de l’angle de tir, juin 2023.

  • Tranchée près de Vuhledar, Juin 2023.

  • Observation des positions ennemies au drone, Juin 2023.

  • Yuri, Toretsk, juin 2022, onze jours avant le bombardement qui lui causera la perte de sa jambe gauche.

  • Toretsk, Juin 2022 — À l’été 2023, Bogdan a été transféré dans la 30ème brigade.

    Toretsk, Juin 2022.

  • Tranchée près de Vuhledar, Juin 2023.

  • Bakhmout, Mai 2022.

    Toretsk, Juin 2022.

  • Médaille de l’Unité 72 accordée pour acte de bravoure, tranchées près de Vuhledar, Juin 2023.

  • Près de Vuhledar, Juin 2023.